Nostradamus

von: Michel Zévaco

Booklassic, 2015

ISBN: 9789635256549 , 224 Seiten

Format: ePUB

Kopierschutz: DRM

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Preis: 0,87 EUR

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Nostradamus


 

II – LA DÉNONCIATION


Renaud s’éloigne. Marie traverse la place, tourne le dos à son logis que lui désigne la duègne. Et elle demande :

– Où demeure cette femme qui connaît l’avenir et le passé ?

– Seigneur ! Voulez-vous donc entrer chez une sorcière ?

– À qui me confier ? soupire Marie. Je n’ai pas de mère. Et je ne sais si demain j’oserai dire à Renaud… Ah ! ces cris de malédiction ! Et quel flamboyant regard de haine il avait, lui ! Ne m’as-tu pas dit que cette femme donne de précieux avis ?

– Ses conseils ont rendu service à mainte bourgeoise, et elle est si charitable aux pauvres qu’on la surnomme la bonne Providence.

– Comment dis-tu qu’elle s’appelle, Bertrande ?

– On la connaît sous le nom de la Dame, et nul ne sait qui elle est. Quant à sa demeure, c’est ici, juste face à l’hôtel de…

– Silence ! interrompit Marie avec effroi. Attends-moi.

Déjà elle a heurté la porte qui s’ouvre.

La jeune fille est entrée. Elle pénètre dans une salle ornée de beaux meubles sculptés. La maîtresse de cette demeure s’avance. Elle peut avoir cinquante ans. Sous ses cheveux d’argent, son visage est resté jeune. Sa physionomie est empreinte d’une indicible dignité. Dans ses attitudes se révèle la sérénité des âmes intrépides. Elle a fait asseoir Marie, et, d’une voix douce :

– Dites-moi quelle peine vous oppresse. Si je puis vous aider ou vous consoler, je le ferai de grand cœur.

– Oui, murmure Marie, déjà votre voix me calme et me berce. Voici donc le sujet de mes alarmes…

La jeune fille s’arrête. Et la dame, avec un sourire :

– Vous aimez, n’est-ce pas, et vous êtes venue demander à la devineresse de vous dire s’il vous aime, lui ?…

– Non ! répond Marie dans un cri. Je sais qu’il m’aime. Je sais que je serai heureuse lorsque je serai à lui. Ce n’est pas cela. C’est terrible, voyez-vous. Le nom que je porte est maudit de tous. Celui que j’aime hait ce nom d’une haine implacable. Et moi, si j’adore mon fiancé, j’aime mon père de tout mon cœur. Et voici ma douleur. Si je dis à celui que j’aime, demain, selon ma promesse, le nom de mon père, ne va-t-il pas s’écarter de moi ?… Voilà ce que je veux savoir.

La dame considère avec pitié la jeune fille :

– Vous aimez votre père ? demande-t-elle.

– Plus on lui témoigne d’horreur, et plus je tâche de lui faire oublier cette exécration qui l’enveloppe d’une atmosphère mortelle…

– Avant tout, il faut me dire le nom de votre père.

Marie rougit, hésite, puis, enfin, dans un souffle, balbutie le nom – le nom maudit. Vivement la dame s’est reculée. Elle a pâli. Mais peu à peu ses traits reprennent leur expression de mélancolie.

– Non, murmure-t-elle. Il est impossible que cette pure enfant soit une espionne envoyée pour me perdre. Mon enfant, ajoute-t-elle, j’ai eu à souffrir de celui dont vous êtes la fille. Un jour… je lui ai crié la malédiction qui montait de mon cœur… Oui, c’est une chose affreuse que d’être sa fille. La mort escorte cet homme. Mais Dieu vous envoie à moi, et, puisque vous aimez votre père ; peut-être sera-t-il sauvé…

– Sauvé ? balbutie la jeune fille.

– Oui, mon enfant. Mais, maintenant, il faut que je sache le nom de celui que vous aimez.

– Tout à l’heure. Quel danger menace mon père ?… Vous avez lu quelque chose d’effroyable dans son avenir !…

– Eh bien ! oui, effroyable…

– Sauvez-le, râle Marie, subjuguée.

La dame demeure un moment pensive.

– Le sauver ? dit-elle enfin. Soit. Dites-lui qu’il ne sorte pas de trois jours. Sinon il mourra. Dites-lui, que, pendant ces trois jours, il faut qu’il se démette de ses fonctions… Surtout qu’il ne se montre pas… il serait déchiré, dépecé, mis en pièces…

Marie n’en entend pas davantage. Elle s’élance. Oh ! tout de suite prévenir son père ! Elle reviendra plus tard pour savoir ce qu’elle doit dire à Renaud ! La dame n’a pas eu le temps de faire un geste pour la retenir.

– Ce départ précipité… murmure la dame. Cette fuite, plutôt… Une espionne ?… Qui sait ! Cet homme est capable de ruse comme de violence. Oh ! il faut que demain nous soyons partis !…

Marie a traversé la place de Grève. Elle pénètre dans un magnifique hôtel. Elle s’avance, tremblante, vers un cavalier de haute stature, de rude figure, qui met pied à terre dans la cour.

– Ma fille ! gronde cet homme. Pourquoi rentrez-vous si tard ? Pourquoi ce visage bouleversé ?

– Mon père, bégaie la jeune fille, il faut que je vous parle à l’instant ; il y va de votre vie !

– Ma vie, ricana le seigneur. Elle est bien défendue. Mais soit ; allez m’attendre en ma chambre.

Et il hausse les épaules, tandis que Marie s’éloigne.

– Ma vie, reprend-il alors sourdement. Oui. Tout ce peuple m’exècre… Mais je serai le plus fort.

Il fait quelques pas, s’arrête, et, avec un frisson :

– Cette femme m’a maudit. Elle m’a prédit que je serais déchiré, dépecé comme le cerf de la meute… Oh ! retrouver cette femme !… Gardes ! qu’on double les sentinelles !…

Et le seigneur se dirige vers sa chambre.

Ce seigneur, c’est l’homme au nom maudit ; Marie, c’est la fille du baron Gerfaut, seigneur de Croixmart !…

En entrant dans sa chambre, Gerfaut a vu sa fille agenouillée sur un prie-Dieu. Une minute, il la contemple, et murmure :

– Que deviendrait-elle, si j’étais tué ?… Cette femme m’a crié que je serais maudit jusque dans ma postérité…

Il touche à l’épaule Marie qui se relève, toute pâle.

– Mon père, supplie la jeune fille, les mains jointes, promettez-moi de ne pas sortir de trois jours !

– Caprice. Vous fûtes trop choyée par votre père, Marie… Il est vrai que je n’ai que toi au monde, mon enfant. Toute ma tendresse, c’est toi. Toute mon aversion, c’est la sorcellerie…

– Mon père, reprend Marie, avec terreur, il faut vous démettre aujourd’hui de votre mission de grand juge.

– Aujourd’hui ! s’esclaffe le baron. Me démettre. Vous devenez folle. Dans une heure, je vais aller saisir en leurs repaires, quatre truands et les faire pendre : Bouracan à la Croix du Trahoir, Trinquemaille en Grève, Strapafar à la Halle et Corpodibale à la porte d’Enfer.

Marie tremble. Elle voit son père déchiré, dépecé, mis en pièces comme l’a prédit la sorcière. Sa pensée s’affole. Et tout à coup, elle croit avoir trouvé la parole capable de convaincre son père :

– Si vous sortez en ce jour, vous serez déchiré, dépecé !…

Dépecé… déchiré !… Les paroles de la femme qui l’a maudit !

– Père, père ! j’en suis sûre ! sanglote Marie. La femme qui me l’a dit sait tout ! Jamais elle ne s’est trompée !…

Le baron sent la peur se glisser en lui. Mais brusquement une rage froide le saisit. Son regard pétille de malice.

– Ah ! ah ! fait-il en adoucissant sa voix, si la femme qui t’a dit cela sait tout… Je réfléchirai à me démettre. Et, pour aujourd’hui, je ne bouge pas de l’hôtel.

Marie se relève avec joie, et enlace le cou de son père.

– Voyons, reprend-il avec bonhomie, il faut que j’interroge cette femme, qui mérite une récompense. Je veux l’envoyer chercher. Où loge-t-elle ?

– Là ! dit Marie en étendant le bras.

– Là ?… Ce logis à l’angle de la place ?

– Oui. Oh ! récompensez-la, puisqu’elle vous sauve la vie !

D’un geste violent, le redoutable baron repousse sa fille. Il va à la porte, qu’il ouvre, et sa voix tonne :

– Holà, officier, vingt gardes pour aller arrêter une sorcière !… Qu’on prévienne le bourreau juré qu’il ait à venir sur l’heure allumer le bûcher de la Grève… Je la tiens ! gronde-t-il… Nous verrons si je serai déchiré comme le cerf par la meute…

Marie a frissonné. Pourtant, elle marche à son père :

– Monsieur, vous ne ferez pas cela ! Moi dénonciatrice !… Grâce pour l’honneur de votre enfant !… Pauvre femme ! Oh ! c’est affreux, cela ! Vous n’allez pas…

– Assez ! gronde le seigneur.

Et il s’élance au dehors. Marie se jette sur la porte, et la trouve fermée à clef !… Alors, un désespoir de honte s’abat sur...